La musique. Le moteur même de son existence et qui le rendait sûrement meilleure que toutes les autres choses auxquelles il s’était consacré, l’unique moyen d’expression et artistique qui faisait qu’il était avant tout un être humain. Cette appréciation naturelle des mélodies, sa capacité inhabituelle à savoir les reproduire alors qu’il ne s’agissait pas du même instrument à rejouer, Dorian était sans doute un expert en cette matière, mais ne s’en rendait pas vraiment compte, tellement il était déconnecté de ses émotions à cause de sa nature profonde d’Antéchrist qui, bien sûr, le différenciait sans équivoque des autres. Et pour cause, son double psychique qui s’emparait de lui sans qu’il ne puisse rien faire pour l’en empêcher, il n’était donc qu’un faible à la carapace bien fragile. Il était même certain qu’à un moment donné, le monde sera débarrassé de lui, pauvre âme innocente en proie à un terrible Destin. Alors, Dorian jouait, tant qu’il le pouvait encore, tant que le monde ne lui pesait pas de trop sur ses frêles épaules. Il y avait des jours où ça allait, où il réussissait à supporter cette douleur dont il était habitué à ressentir et d’autres où il avait juste envie d’hurler au point de se tirer une balle en pleine tête … Mais il n’était pas sûr que ce soit efficace … Le pauvre humain était certain que sa nature était tellement vicieuse qu’il ne pourrait pas quitter cette vie aussi facilement, bien qu’il fallait avouer qu’il a pensé maintes et maintes fois de mettre fin à ses jours. Et pourtant, il avait toutes les raisons de le faire.

Il se rappelait encore de cette nuit où il avait rencontré Grace pour la première fois. Dorian se souvint encore de cette colère qui lui tenaillait le ventre, de cette peine sans nom, de cette détermination fugace à le détester sous toutes ses coutures. Elle était tellement présente, tellement désarmante qu’elle résonnait encore dans chaque pores de sa peau et qui le faisait encore plus souffrir que la normale. Et pourtant, elle avait entièrement raison de le voir ainsi, comme un monstre parce que c’était exactement ce qu’il était. Même si ce n’était pas vraiment lui, Dorian tuait des gens, réduisait des vies entières à une tristesse infinie et se maudissait juste par le fait qu’il était porteur de l’héritage d’un démon, alors qu’il voulait juste être normal, un être comme les autres, qui naît, qui vit, qui vieillit pour enfin mourir.

Et cette fois, bien qu’il tentait de se contenter à créer de nouvelles mélodies, coincé dans son petit appartement renfermé et sombre, Dorian ne put ressentir aucune once d’inspiration, ce qui signifiait bien pour une obscure raison qu’il n’avait pas le cœur à composer, même s’il savait bien que les meilleurs textes sortaient d’une importante émotion … Cependant il ne voulait pas montrer qu’il était rongé de l’intérieur alors se gardait ces morceaux pour lui-même, pas sur les scènes où il se produisait de temps en temps pour se faire un peu d’argent. Alors, sans aucune autre motivation, l’humain déchu décida de sortir prendre l’air, ce qui était une bonne chose pour tout humain ayant une vie tranquille … Parce que même si la sienne n’était pas un exemple, au moins, il se complaisait souvent à se le faire croire. L’atmosphère dehors était plutôt agréable, l’après-midi avait pointé le bout de son nez et la température se réchauffait doucement de jour en jour. L’Hiver semblait doucement laisser sa place aux couleurs plus chaudes ce qui était un baume au moral pour beaucoup de gens, mais toujours pas Dorian dont le cœur était pris par la glace depuis sa plus tendre enfance déjà.

Il se dirigeait alors sans but précis vers le centre commercial. A cette heure, beaucoup de gens affluaient dans tous les sens et c’était sans équivoque la meilleure façon pour l’Antéchrist de se consoler un peu de sa solitude aigrie dans laquelle il s’était formé depuis longtemps. Cela lui arrivait souvent de se poser dans un coin, à l’abri des regards, fermer les yeux et se concentrer sur chaque bruit que pouvait provoquer les passants. Au fond, ça l’aidait à ne pas devenir cinglé bien qu’il l’était déjà à cause de sa nature. Beaucoup d’éléments étaient contre lui et Dorian même se considérait comme un coupable que l’on devrait bien vite condamner. C’est alors qu’il passa le long d’une galerie qu’une jeune voix féminine attira alors son attention, semblant l’appeler. Tout d’abord surpris, Dorian arrêta sa marche avant de se retourner, pour faire face à une jeune adolescente … Aveugle. Et le plus intriguant dans tout cela, c’est qu’elle semblait le reconnaître … Alors qu’elle était dépourvue de la vue ? Cette interrogation le frappa du premier coup mais bien vite se ravisa afin de reprendre son sérieux … Il essaya pour autant de se remémorer une fois d’où venait ce visage, mais pour l’instant, rien n’y faisait … Devait-il donc continuer son chemin et ignorer cette jeune fille .. ? Pour sa sécurité ce serait peut-être mieux pour elle, mais Dorian n’était pas réellement un sauvage comme il pouvait souvent le faire croire. Il tenta donc d’amorcer une réponse la plus neutre possible. « Et comment peux-tu en être sûre ? » D’autant plus qu’elle n’avait pas la vue, l’humain déchu ne voulait en aucun cas paraître impoli ou quoi que ce soit. Il était avant tout un être humain, même si sa nature démoniaque en jugeait du contraire. Il avait des sentiments, des ressentis et de la compassion, au même titre que sa force maudite et ses pouvoirs surnaturels, encore enfoui en lui de par le refus psychologique de ce qu’il était réellement.

Les sentiments humains. Cet élan de vie le plus normal qui soit, une existence sans peines et douleurs surnaturelles … Des choses qui semblaient si étrangers à cette créature qui n’avait pourtant aspiré qu’à être parmi eux. Et tout ce concentré d’une telle humanité, pure, belle et insouciante se tenait une nouvelle fois sous le regard du triste déchu, sous les traits de cette jeune basanée douce et fragile dont la vue lui manquait. De par son approche peu habituelle, cette jeune adolescente avait réussi à attirer son attention, ce qui bien sûr, quand on connaissait Dorian n’était pas un exploit. Même s’il avait l’étoffe d’un monstre démoniaque, la curiosité caractéristique des humains ne lui était pas étrangère. Et pourtant, il aurait tant aimé être comme elle, comme il le captait en ses sens particuliers, à savoir un être normal, avec ses forces, ses faiblesses et non avec un tel pouvoir qu’il maudissait du plus profond de son âme. Qu’est-ce qu’il aurait donné pour ne pas naître ainsi, remonter le temps pour réécrire son histoire et commencer son existence dans une autre famille, même dans un autre pays. Mais la vie ne fonctionnait pas comme ça, il ne le savait que trop bien. Dorian devait juste se taire et avancer, même si c’était dur et avait beau chercher tous les moyens pour sortir cette rancœur de son propre conscient, le fait même de savoir que sa malédiction surnaturelle était de naissance et par définition sans aucun remède, c’était toujours dur et horrible à avaler pour lui. Déjà avec tous les malheurs qu’il avait subi dans son enfance à cause de sa mère qui le reniait, on pourrait se dire sans aucun problème que Dorian en serait malheureusement habitué, mais un cœur humain n’est pas fait pour subir de telles charges émotionnelles aussi négatives, et c’était tout simplement pour cette raison qu’il restait à l’écart des autres, puisque de toute façon, il se disait lui-même qu’il n’était pas quelqu’un de fréquentable, à cause de son côté sombre qui lui ôtait toute chance de ressentir enfin un bonheur un jour.

Et la jeune humaine s’approchait de lui. Dorian estimait sans mal qu’elle devait avoir dans la quinzaine d’année, si ce n’est plus. Elle semblait vraiment le connaître malgré sa vue manquante, ce qui ne manquait pas de faire naître dans son esprit de multiples questions sans réponses … Déjà qu’il ne se rappelait pas vraiment lui-même de l’avoir croisé lors de l’une de ses rares sorties, il n’y avait qu’une seule solution possible, et de suite, il se refroidit. Bien qu’il n’avait aucune preuve pouvant justifier sa pensée, Dorian avait bien ressenti le fait que lorsqu’il était possédé par son démon, à son réveil, il n’avait que de rares morceaux de conscience, ou, au pire, des ressentis, des sensations lorsqu’il croisait quelqu’un ou traversait un endroit où son démon était sûrement passé … Et c’était exactement ce qu’il ressentait alors que l’aveugle avançait doucement. Il ne bougea pas, quelque peu tétanisé par cette étrange rencontre. Dorian s’en rendait même compte à quel point ces humains pouvaient comme l’effrayer au fond, tellement il ressentait une compassion étrange alors que, lorsqu’il est inconscient passe des nuits à réduire des vies entières à néant. Il ressentait alors de la peine partout, ne vivant malheureusement qu’à travers ce sentiment très négatif. Au fond, Dorian savait qu’il avait déjà croisé cette humaine, bien que ce n’était pas vraiment lui ce soir-là … Encore fallait-il recoller les morceaux de son esprit complètement torturé.

Alors que le silence s’était fait dans leur début de conversation bien que le brouhaha des passants était tout de même présent, la jeune femme reprit la parole, lui demandant s’il n’était pas drogué ce jour-là au point de ne pas la reconnaître. Dorian aurait tellement lui dire que c’était le cas, qu’il n’avait pris qu’un sachet de coke de trop mais ce qui s’était passé ce soir-là était bien plus grave … Son côté Antéchrist a sans doute été la cause de la connaissance non réciproque entre eux deux, et dès à présent, Dorian avait toutes les raisons de s’inquiéter … Et c’était suite à cela qu’il décida alors de ne pas s’éclipser, histoire d’en savoir plus sur la certitude de cette jeune personne. Peut-être était-elle finalement infondée ? Bien que le basané préférerait mille fois cela, ce n’était plus possible de penser à cette éventualité. Même si elle était aveugle, Dorian ne pouvait se permettre de sous-estimer la conviction d’un être humain.

Puis, Dorian pouvait sentir une certaine vague de peur dans le cœur de la jeune aveugle, comme si il avait fait lors de leur première « rencontre » quelque chose qu’il pouvait regretter … Et ce fut bien le cas. Elle avança alors qu’il l’avait attaquée lors d’une nuit alors qu’elle était sortie seule, et là, ce fut une montagne d’image qui revint alors dans l’esprit de l’Humain, comme si tout son inconscient s’était ouvert d’un seul coup. En effet, c’était sa créature présente en lui qui avait sans aucun doute croisé son chemin, et vu comme il se le doutait, il n’avait sans doute pas été tendre avec elle … Et de plus, elle semblait si jeune … Si pure, si innocente dans une vie qui la voyait tous les jours s’épanouir et la révélation positive par cette dernière que c’était bien lui de par une simple description lui fit l’effet d’un froid poignard dans le dos … D’autant plus qu’elle n’était certainement pas aveugle à ce moment-là si elle si nettement le décrire. Il n’avait alors plus moyen de reculer, plus moyen de s’échapper et s’était promis de toujours faire face aux personnes à qui il faisait indirectement su mal, car il devait payer. Et si le fait que cette demoiselle ait perdu la vue n’était que l’effet de sa propre faute … ? Quelque part, c’était pire pour lui à supporter que de tuer quelqu’un … Une des victimes de son démon avait survécu à son attaque psychopathe … Mais pas à n’importe quel prix. Cet immense sentiment de culpabilité si bien connu s’empara de lui une nouvelle fois, lui coupant alors net l’usage de la parole. Et pourtant, ce n’était qu’une jeune adolescente qui ne faisait que de dire sa propre vérité … « Je me souviens de toi … » Il ne pouvait pas lui dire non plus qu’il était à l’origine de cette perte de vue, non pas parce qu’il n’en avait pas le courage, ni l’intention de le nier, mais Dorian ne voulait en aucun cas reproduire l’expérience en disant la vérité sur sa culpabilité comme il l’avait fait avec Grace quelques temps plus tôt, bien que finalement, sa parole était profondément implicite … Il se sentait déjà mal de faire du mal aux autres, mais en plus, voir leur visage se décomposer face à une telle révélation … Dorian n’avait plus la force de revoir ça. Il voulait se préserver autant que possible. Cela pouvait paraître égoïste pour ses victimes mais des fois, il ne pouvait faire autrement … D’autant plus qu’il ne souhaitait pas du tout effrayer cette jeune aveugle pourtant si déterminée à vouloir en savoir plus sur toute cette histoire.

La petite serra sa canne un peu plus fort, frustrée par son aveuglement qu'elle ne pouvait pas réparer ou du moins faire disparaitre juste le temps de voir cet homme qu'elle avait l'impression de connaître. Peut-être était-ce l'odeur ? Elle n'en savait rien, elle n'avait qu'une impression floue de danger qui l'intriguait très profondément.

« Je me souviens de toi ... »

Malgré le fait que leur première sorte de rencontre fût plutôt un mauvais souvenir pour elle, Ezra ne pût s'empêcher de s'exclamer joyeusement presque en sautant et en faisant tomber ce qui lui servait de canne par terre. Elle était contente car finalement, elle ne s'était pas trompée et ce simple petit fait suffisait à la rendre satisfaite.

« Je le savais ! J'en étais sûre ! Mes intuitions sont rarement fausses. » Il est vrai qu'elle n'avait pas tort sur ce point-là, ses pressentiments n'étaient pas ressentis au hasard et ils étaient souvent véritables.

« Mais... » Elle se précipita au sol pour récupérer son précieux objet. Elle savait à présent qu'il se souvenait d'elle mais alors, cela voulait dire qu'il était conscient qu'il avait bien failli la tuer. Pourquoi ? ça elle n'en avait aucune idée. Surtout que là, tout de suite il lui semblait être une personne tout à fait normale, incapable de faire du mal à une mouche tandis que l'autre fois elle avait eu l'air complètement fou.

« Je m'en pose des questions là tout de suite. » Et ça lui faisait un peu peur d'ailleurs. « C'est bizarre, tu as voulu me tuer l'autre fois ... ou me blesser, m'attaquer, euh je sais pas mais ça m'as foutu la trouille quoi. Mais là tu me parles normalement alors que ça fait un moment que tu aurais pu me kidnapper et finir ce que tu avais entrepris l'autre fois. » Elle était aveugle, elle aurait été incapable de faire quoi que ce soit pour se défendre mise à part hurler de toutes ses forces peut-être.

« Sérieux, t'étais pas dans ton état normal l'autre fois ? Pas vrai ? » ça lui semblait être l'option la plus probable. « Ou bien t'es un psychopathe à mi-temps ? Ce qui entre nous me parait très peu possible. » Elle ne connaissait de sa véritable nature et elle ne croyait pas du tout en l'existence des êtres surnaturelles ou d'autres trucs du genre.

Pardon pour le retaaaard