À la porte, il n'y a personne. Un étudiant aura accroché au passage le battant, ou un autre truc du genre explique surement le bruit. Je retourne vers mon bureau, je n'ai pas de cours à donner après l'heure du dîner, je vais terminer ma correction, j'imagine. Et, de plus, comme personne ne s'est présenté au local encore, je crois bien qu'il n'y a pas de cours ici cet après-midi finalement.Tant mieux, je pourrai squatter le local une heure encore, le temps de terminer mon travail, du moins, le plus gros. Le reste, je pourrai le faire à la maison.

Un bruit attire mon attention. Des pages qui tournent. Je me retourne brusquement vers le fond de la classe et y voit une étudiante -Mlle Aston, si ma mémoire est bonne- encore assise-là, à lire tranquillement les Fleurs du Mal. Je reste un instant perplexe, surprit de m'être à ce point prit dans mon travail que je n'ai pas remarqué qu'elle était restée. Je me souviens d'elle durant le cours, elle n'avait pas l'air très enthousiaste. Mais surtout, elle avait l'air un peu perdue, seule.

Pourtant jolie -et Dieu sait que les jolies filles sont souvent les plus populaires- elle ne semblait pas se fondre dans la masse estudiantine, en fait, elle était ressortie étrangement du lot. Personnellement, elle m'est plutôt sympathique, je ne comprends pas cet isolement.

Je m'avance vers son bureau et m'assit sur celui juste en avant du sien dans la rangée. Je la regarde un instant, plongée dans son livre. Je suis sûr qu'elle m'a entendu arriver, ou, au minimum, m'asseoir.

"Vous avez l'intention de rester ici longtemps ? N'avez-vous pas un cours bientôt, mademoiselle Aston ?", dis-je en souriant malicieusement.

Et la pauvre jeune femme lève un regard totalement perdu sur moi. Je peux la voir s'éveiller, sortir de l'univers dans lequel elle s'était enfermée et réaliser l'heure et ma présence, tout cela au fond de ses prunelles noisettes.

"Oh désolé, j'étais totalement dans le livre."

Puis elle fouille précipitamment dans ses affaires, à la recherche de quelque chose presque désespérément. Heureusement, elle finit par le trouver en riant. Elle a un très joli rire. Elle agite son horaire après l'avoir rapidement regardé.

" Désolé je ne le trouvais plus dans mon sac, mais ouf, je n'avais pas cours maintenant, heureusement d'ailleurs sinon j'aurais pris cher je pense. Merci Monsieur Bloodline de m'avoir sorti du livre"

C'est à mon tour de rire en lui jetant un regard amusé. Être prit dans un livre, je sais ce que c'est. Elle me rappelle moi-même il y a quelques années, je crois que c'est pour ça que je l'aime bien. À son âge, je m'enfermais dans les livres et mes études pour éviter mon père et la doctrine qu'il tentait de m'imposer. Je me souviens de la sur-estime de lui qu'il avait et son assurance que les humains n'étaient rien de plus que de la bouffe et des esclaves à notre service. J'en ai mal au cœur à y penser.

Elle s’apprête à quitter la classe et je pense à quelque chose. J'ai déjà corrigé son texte. Et si je lui demandais de m'aider ? Elle n'a pas l'air pressée, rien ne doit donc l'attendre quelque part. Et ça irait beaucoup plus vite pour moi... Et puis elle a l'air chouette. Bon, je me lance.

"Ce fut avec plaisir, je ronronne presque. Mais dites-moi, auriez-vous quelques minutes à me consacrer ? J'aurais sérieusement besoin d'aide pour la correction des textes d'aujourd'hui ! J'ai bien peur de ne pas avoir fini pour le prochain cours sinon... "

L'air surprit de la jeune mademoiselle Aston m'amuse immensément, mais je me retiens, par respect, de rire d'elle. Je ne lui aurais pas proposé de m'aider si cela pouvait nous mettre tout les deux dans une situation ambiguë. Comme il s'agit de textes, elle n'aurait qu'à corriger les fautes d'orthographes qu'elle repérerait, je corrigerais le reste plus tard. Le plus gros étant fait, cela me prendrais moins de temps et les élèves auraient leurs résultats plus tôt.

Je me dirige vers mon bureau et agite un des nombreux textes en lui souriant.

"Il ne faut pas vous inquiéter, il n'y aura aucun problème ni pour vous ni pour moi, tant que, au final, je décide de la note. Votre travail sera bien simple, vous devrez simplement corriger les erreurs d'orthographes que vous trouvez, je m'occuperai du reste ensuite."

Sans l'attendre, je m'installe à mon bureau et reprends la correction du texte que je lui ai montré, celui sur lequel je travaillais avant de m'interrompre. Je relève la tête, levant mon regard vers la jeune femme.

"Vous pouvez vous installer où vous voulez, si vous avez des questions, n'hésitez surtout pas à me les poser," ajoutais-je en lui souriant affectueusement.

Je tends à la demoiselle le crayon rouge qu'elle me demande avec plaisir. Si c'est tout ce que ça lui prends pour m'aider... Alors soit ! Hors de question que je fasses cette correction tout seul encore une heure ! Qu'elle le veuille ou non, Mlle Aston va m'aider ! Je lui passe aussi une petite pile de texte, après tout, c'est quand même mon travail. Je veux bien lui demander de l'aide, mais le plus gros, c'est à moi de le faire.

J'ai, un instant, une pensée pour Bouddha. Pas Siddhartha Gotamma, non, Bouddha, mon chat. En fait, ce n'est pas vraiment le mien. Je l'ai trouvé il y a quelques jours sur le pas de ma porte et je l'ai fait entrer. C'est un mignon chaton noir aux oreilles recourbées, comme pour un chien. Mon vétérinaire m'a dit qu'il s'agirait d'un Scottish Fold, une race de chat écossaise. J'étais surprit qu'un chat m'aime bien, puisqu'ils sont connus pour détester les Loup-garous. Alors, jusqu'à ce que quelqu'un le réclame, j'ai décidé de le garder et je l'ai nommé Bouddha parce que, le premier jour, il s'est assit sur mon livre parlant de la vie de Bouddha, alors que je lui cherchais un nom. Jusqu'à maintenant, j'ai nourris le petit félin avec du thon en canne, mais je vais devoir lui acheter de la vraie nourriture pour chat.  

L'éclat de rire de la jeune fille me surprend. J'étais déjà plongé dans mon travail, super concentré et tout. Je ne comprends pas en fait pourquoi elle rit. Un texte absolument mauvais ? Non, ce n'est pas une raison de rire. Moi ? J'ai fait un truc drôle ? Je ne crois pas. Je regarde rapidement à la porte si quelqu'un pourrait être ce qui fait rire mon élève, mais il n'y a rien à la fenêtre. Je penche légèrement la tête et appuies mon menton dans ma main, attendant qu'elle retrouve son sérieux.

Je sursaute. Merde, sans m'en rendre compte, je m'étais mit à mordiller mon stylo.... Et je suis maintenant plein d'encre. Mes dents ont percées le pauvre objet, m'aspergeant au passage de son contenu. Je grogne, un peu énervé, mais amusé en même temps. C'est donc ce qui faisais rire la jeune femme, moi et mon visage tâché. Je prends un mouchoir dans mon bureau et tente tant bien que mal d'enlever le liquide poisseux sur mon visage. Cependant, j'ai comme l'impression que je l'étends plus que d'autre chose... J'éclate finalement de rire à mon tour.

Je ne peux pas y faire grand chose pour l'instant et, en plus, je viens de voir mon reflet dans la fenêtre qui donne sur la cours. Ouaip, j'en ai mit partout. Barbouillé comme cela, j'ai l'air d'un gamin ce, qu'au font, je suis. Je suis encore jeune quand même ! J'ai la mi-vingtaine, j'ai encore l'âge de sortir dans les nights clubs. Je passe la main dans mes cheveux en riant encore un peu. Quel genre de professeur suis-je donc ? Je demande de l'aide à une étudiante qui a probablement mieux à faire et j'agis comme un gamin.

"J'imagine que je viens de l'étendre partout ? ", je lui demande en souriant moqueusement.

Décidément, cette jeune femme m'amuse énormément. Elle s'excuse poliment de son écart de conduite puis se lève et va chercher de quoi me nettoyer. Et moi qui pensais juste attendre à la fin de la correction pour aller au toilette me laver ! C'est si terrible que ça ? Je croyais que je n'étais que légèrement tâché... Pas au point où il serait si gênant que cela que quelqu'un me voit ainsi. Hum, j'ai du me tromper, alors.

Je laisse gentiment la jeune Mlle Aston me laver le visage, même si j'aurais parfaitement pu le faire seul. Je ne comprends pas pourquoi elle le fait, d'ailleurs, puisqu'elle est clairement très gênée de se retrouver à le faire. Une fois son travail de nettoyage fini, elle retourne s'asseoir, satisfaite. Je passe la main sur ma mâchoire encore humide, puis la repasse dans mes cheveux. C'est un horrible tic nerveux dont je dois me débarrasser. Je secoue un peu la tête, puis offre un sourire à mon élève.

"Merci bien, au moins, je n'aurais plus l'air ridicule maintenant."

Et je retourne encore à mes copies. Je dois corriger tout cela.