Première journée à Beacon Hills, je suis un peu tendu. Ayant énormément d'argent en banque, j'ai pu me louer un appartement il y a un mois, mais je ne pouvais emménager qu'aujourd'hui. J'y suis allé ce matin, c'est comme l'agent l'avait décrit, grand, spacieux et classe. Mes choses vont arriver demain, mais il y en a très peu. Je n'ai jamais été quelqu'un de très matériel. Je préfère les relations humaines aux objets. Ironiquement, j'ai beau avoir de l'argent, je ne connais personne ici. Et on ne peut acheter l'amitié. Je me suis donc ennuyé toute la journée, j'ai passé le temps à me promener dans la ville, découvrant les divers endroits les plus importants, comme le Lycée, là où je vais travailler. J'ai, d'ailleurs, hâte de commencer à enseigner, mais j'ai un peu peur aussi. Et plus j'y pense, plus je tresse. J'ai vraiment besoin de décompresser.

En plus, les au revoir de ce matin n'ont pas été très facile. Mon père ne savait même pas que je partais avant que le camion de déménagement arrive. Disons que ça a été un peu mouvementé. Mon père, en tant qu'alpha, est très possessif, il déteste se faire enlever ses "possessions". Et, à ses yeux, en tant que membre de sa meute, je suis une de ses "possessions". Et, perso, je trouve ça un peu insultant. Déjà que je ne le porte pas dans mon cœur... Ce n'est rien d'autre qu'un assassin. Ce n'est pas un loup digne de ce nom ! Les loups ne sont pas des meurtriers, ce sont des prédateurs. Ils ne tuent ni par plaisir, ni par vengeance.

Maintenant ? Je suis en train de marcher sur une rue plutôt passante. Il y a des restaurants et un bar près, je crois que je vais opter pour ce dernier. Un verre, ça me ferais énormément de bien. Oui, c'est ça. Et puis, on rencontre toujours des gens intéressants dans les bars. Je vérifie que je porte quelque chose d'adéquat -un chandail blanc, une veste en cuir et un jean noir- et entre dans le temple des alcooliques. L'ambiance est légère, agréable. Je lorgne avec envie sur les tables de billards, mai jouer seul, ça craint. Je me dirige plutôt vers le comptoir et m'assoit à côté d'une jolie demoiselle dans la vingtaine. Elle a de magnifiques cheveux blonds, un véritable cascades de boucles. Je lui fais un de mes sourires qu'on dit charmeurs et me tourne vers le barman.

"Je vais vous prendre un whisky et resservez un verre à mademoiselle."

Je paies les deux verres et descend le mien cul sec. Pfiou ! Ça commence déjà à aller mieux ! J'en redemande un au barman et me retourne vers la jeune femme. Elle est vraiment jolie.

La jeune femme avale d'abord son verre de tequila cul sec, puis, finalement, se retourne vers moi. Mon dieu, ce qu'elle ressemble à la petite Emily ! Je me souviens d'elle, cette gamine de onze ans que j'ai revue pour la dernière fois il y a cinq ans. Les même cheveux blonds ondulés et, surtout, le même regard. Cette petite Emily qui me fixai de ses yeux de la couleur de l'océan infini, me suppliant de l'amener avec moi. Cette petite Emily désespérée, me hurlant qu'elle ne voulait pas rentrer chez elle. Cette petite Emily, morte, baignant dans son propre sang qu'elle avait elle-même versé. Cette petite Emily qui était la victime de son père et qui est morte, parce que je n'ai pas su voir qu'elle souffrait réellement. J'ai cru qu'il ne s'agissait que d'une énième dispute avec son père. J'ai cru qu'elle était en sécurité chez elle et qu'elle exagérait, comme tout enfant. Je l'ai forcée à rentrer chez son père, je l'ai ramenée dans les bras de son violeur, moi, en qui elle avait confiance, je l'ai abandonnée en Enfer. C'est le lendemain, quand même un peu inquiet pour elle qui semblait si terrorisée la veille, que j'ai trouvé son cadavre. Les loups sont difficiles à tuer, mais même un loup doit respirer. Elle s'était pendu, avant quoi elle s'était duement ouvert les veines. Elle était dans la cours, pendue à l'immense chêne qui surplombait la moitié du terrain. Son sang ne coulait presque plus de ses petits poignets, une large flaque gluante s'étendant sur l'herbe sous elle.

Je me secoue mentalement, ce n'est pas le temps de penser à mes regrets. Le présent passe avant le passé, il ne faut simplement pas refaire les mêmes erreurs.

J'aperçois vaguement la jeune femme, maintenant tournée vers moi, me détailler du regard et étirer ses lèvres en un sourire à peine perceptible. Ah oui, elle m'a posée une question. Qu'est-ce que c'était déjà...? Mon nom. C'est ça, comment je m'appelle. Maintenant, on réponds. Allez, Elian, on se concentre sur le présent !

"Je m'appelle Elian, je viens d’emménager en ville. Et vous, vous vous appellez comment ?", questionnais-je en affichant un immense sourire, cachant mes malheurs derrière celui-ci.